La réutilisation des eaux usées, entre réticence et mise en garde… Dans un contexte de développement durable visant notamment à épargner la ressource et économiser l’eau, la réutilisation des eaux grises est souvent évoquée. Pour allez plus loin que la récupération d’eau pluviale, l’utilisation des eaux grises traitées, qui consiste à récupérer et à collecter les eaux provenant des douches, baignoires, lavabos, lave-linge, et éventuellement de la cuisine, puis à les utiliser après traitement, n’est pas autorisée en France pour des usages domestiques.
Réutilisation des eaux grises : un axe de développement durable
Dans un contexte de développement durable, la réutilisation des eaux grises en milieu domestique est souvent évoquée afin d’épargner la ressource en eau et réduire la consommation d’eau potable. Depuis quelques années, l’intérêt porté à cette pratique s’est accru et certains pays comme l’Australie, les États-Unis, Israël et le Japon se sont tournés vers ces ressources complémentaires face à des situations de pénuries d’eau douce.
Une étude réalisée par le Service de l’économie, de l’évaluation et de l’intégration du développement durable du Commissariat général au développement durable s’est penchée sur la réutilisation des eaux usées pour l’irrigation et conclue qu’elle est unepotentielle solution locale pour des situations critiques à l’avenir.
La réglementation permet la réutilisation après traitement des eaux usées pour l’irrigation des cultures. Mais cette possibilité est peu mise en œuvre : d’une part, la France est peu confrontée à des situations de rareté de la ressource en eau et, lorsque c’est le cas, cela reste local et ponctuel ; d’autre part, le prix plus élevé des eaux traitées que celui de l’eau prélevée dans le milieu n’est pas incitatif. Les Français sont réticents face à cette pratique de réutilisation et ne souhaitent pas payer la totalité du surcoût de l’eau traitée par rapport au prix de l’eau prélevée. Pourtant, cette pratique est une solution pour augmenter l’offre en eau dans les zones critiques comme le font déjà plusieurs régions ou pays étrangers. L’exemple d’Israël, qui mutualise des coûts entre les différents usagers, pourrait être une piste pour anticiper la pénurie dans les zones concernées en France.
L’enquête précise que la réutilisation des eaux usées est une des mesures inscrites dans la feuille de route issue de la conférence environnementale de 2013. Cette mesure vise à contribuer à la sécurisation à court et long termes des ressources en eau dans un contexte local et saisonnier (printemps/été) de hausse de la demande en eau, tirée par le développement de la population et de la production agricole irriguée, conjuguées à une baisse de la disponibilité en eau, due notamment au changement climatique. Les eaux usées sont récupérées en sortie de station d’épuration, au lieu d’être normalement restituées dans les cours d’eau. La réutilisation des eaux usées après traitement concerne principalement l’irrigation. La réglementation française prévoit également l’arrosage des espaces verts, publics ou privés (terrains de golf). La réutilisation des eaux pluviales récupérées, qui est une autre solution pour augmenter l’offre en eau pour l’irrigation, n’est pas traitée dans l’étude.
La réutilisation des eaux usées en France
La réutilisation des eaux usées est encore très peu développée sur le territoire français (19 200 m3/jour) : les volumes concernés correspondent à environ 2 % des volumes réutilisés dans d’autres pays européens, tels que l’Espagne et l’Italie. Dans le monde, il y aurait 20 millions d’hectares de cultures irriguées avec des eaux usées traitées, ce qui représente près de 10 % des surfaces irriguées, mais seulement 1,7 % des surfaces agricoles mondiales. C’est une pratique répandue dans les régions du monde affectées par des pénuries de ressources en eau. Dans certains pays, cette pratique est encadrée règlementairement. Pour ces pays, des estimations de volumes concernés sont disponibles. Une réutilisation des eaux usées simple et non programmée peut exister dans d’autres pays, notamment les pays en développement. Dans ces cas-là, des estimations robustes de volumes concernés ne sont pas disponibles.
La France ne connaît que des épisodes locaux et saisonniers de déficit de la ressource en eau. De ce fait, la réutilisation des eaux usées est restreinte à des régions particulières (notamment insulaires).
Dans les îles de Ré, Noirmoutier, Oléron, Porquerolles, la réutilisation des eaux usées a permis de maintenir ou de développer une activité agricole dans un contexte insulaire où la ressource en eau est rare. Les autres exemples de réutilisation des eaux usées concernent des usages pour lesquels la demande en eau est importante et en conflit potentiel avec l’eau potable. C’est le cas de golfs à l’instar de celui de Sainte-Maxime (Var).
Les eaux usées sont également utilisées pour l’irrigation des espaces verts (jardins publics, terrains de sport ou golfs), principalement dans les pays soumis à un fort stress hydrique : jardins publics et golfs d’Abu Dhabi aux Émirats Arabes Unis, parc olympique, parc zoologique, jardins publics en Australie.
L’encadrement réglementaire limite les risques sanitaires et environnementaux
La réutilisation des eaux usées s’inscrit dans le cadre réglementaire de protection de la santé publique et de l’environnement. Les eaux usées sont réutilisées après avoir été traitées. Ce traitement vise au respect des prescriptions réglementaires mises en place par les pays. Celles-ci concernent aussi bien les normes de qualité des eaux utilisées, que les distances minimales à respecter entre les zones irriguées avec des eaux usées traitées et les activités ou les milieux à protéger.
Ces prescriptions réglementaires dépendent du type d’usage : ainsi, les cultures qui sont consommées crues (cas des fruits ou certains légumes) ou les espaces ouverts au grand public sont soumis à des normes de qualité plus exigeantes que les cultures consommées après transformation ou destinées à des usages non alimentaires (horticulture).
En France, la réglementation définit quatre catégories d’usage des eaux usées traitées. La catégorie dont les normes associées sont les plus exigeantes (catégorie A) vise l’irrigation de cultures maraîchères non transformées et l’arrosage d’espaces verts ouverts au grand public (tels que les golfs). La catégorie dont les normes associées sont les moins exigeantes (catégorie D) vise l’irrigation de forêts d’exploitation avec un accès contrôlé du public.
Le coût de la réutilisation des eaux usées est un déterminant important de son développement
Plus les normes de qualité des eaux usées sont exigeantes, plus les traitements associés sont complexes. Plus les traitements associés sont complexes, plus le coût de production d’une eau réutilisable est élevé. Or, le développement d’une telle pratique dépend fortement de son coût par rapport aux autres sources d’approvisionnement en eau (notamment le prélèvement dans le milieu).
Les normes retenues par la France sont similaires à celles de la Californie, l’Australie, l’Espagne ou l’Italie, pays qui ont un niveau de protection sanitaire de leurs populations similaire à celui de la France.
Afin de réduire les coûts relatifs entre une eau prélevée dans le milieu et des eaux usées traitées, certains pays, comme Israël ou l’Espagne, accompagnent le développement de projets de réutilisation des eaux usées par des politiques de transfert des coûts. Ces politiques « mutualisent » les surcoûts liés au traitement des eaux usées avec l’ensemble des usagers de l’eau de la zone géographique concernée. Cette « mutualisation » qui répartit les surcoûts permet de prévenir les conflits d’usages, par le recours à des ressources alternatives économiquement rentables pour les usagers (agriculteurs) puisque subventionnées.
L’acceptabilité sociale mitigée des Français peut être un frein
Au-delà de la rareté de la ressource en eau et de l’importance des prescriptions réglementaires, la réutilisation des eaux usées peut aussi être déterminée par son acceptabilité sociale.
Les Français consomment déjà des fruits et légumes importés de pays où la réutilisation des eaux usées pour l’irrigation est fréquente (Espagne notamment). Pourtant, un tiers des Français dit ne pas être prêt à consommer des fruits et des légumes irrigués avec des eaux usées traitées. Cela laisse supposer que les consommateurs connaissent peu l’existence de ces pratiques à l’étranger.
Les Français sont réticents à payer la totalité du surcoût lié à cette pratique
Dans le cas où la raréfaction des ressources en eau s’accentuerait, la réutilisation des eaux usées pour l’irrigation peut permettre aux ménages de maintenir leur niveau de consommation. Le consentement à payer des Français pour ne pas avoir à réduire leur consommation d’eau en situation de rareté accrue de la ressource reste néanmoins modeste.
En effet, seul un quart des Français déclare préférer conserver leur niveau actuel de consommation, contre une augmentation du prix de l’eau.
De plus, ce quart de Français accepterait dans ce cas-là une augmentation de leur facture d’eau de l’ordre de 14,5 €/an. Ceci correspondrait à une augmentation du prix de l’eau de 0,26 €/m3, soit 8 % du prix moyen de l’eau actuel.
La faiblesse de cette valeur provient probablement du fait que les ménages ont du mal à se projeter dans une véritable situation de tension sur les ressources en eau, y compris dans les zones critiques. Ils n’ont généralement jamais subi les conséquences d’une sécheresse, car l’eau potable est l’usage qui est préservé en priorité en cas de crise. En effet, une majorité des français pense que la quantité d’eau disponible en France est suffisante et le sera également à l’avenir.
En 2011, la Direction générale de la santé a saisi l’Anses afin qu’elle évalue les risques sanitaires potentiels liés à la réutilisation des eaux grises pour des usages domestiques. Dans les avis et rapport qu’elle publie ce jour, l’Agence estime que la pratique de réutilisation des eaux grises dans l’habitat doit être encadrée, et ne doit être envisagée que pour des usages strictement limités, dans des environnements géographiques affectés durablement et de façon répétée par des pénuries d’eau. Par ailleurs, la population (résidents, utilisateurs occasionnels, professionnels) doit être informée et formée aux conditions d’utilisations nécessaires pour minimiser les risques associés à la présence d’un réseau d’eau non potable dans le bâtiment.
Risques sanitaires liés aux différents usages des eaux grises : chaque projet constitue un cas particulier
Les eaux grises (ou eaux ménagères) brutes sont des eaux issues des douches, des baignoires, des lavabos, des lave-linge, des éviers et des lave-vaisselle. Le travail mené par les experts de l’Anses montre qu’à ce jour, les données disponibles sont insuffisantes pour caractériser de manière rigoureuse et exhaustive les dangers liés aux différents contaminants physico-chimiques et microbiologiques des eaux grises, et les niveaux d’exposition liés aux différents usages, applicables à toutes les situations.
Les eaux grises contiennent des matières particulaires et organiques, et sont contaminées par des micro-organismes dont des pathogènes et des contaminants physico-chimiques issus notamment du lavage des mains, des produits d’hygiène corporelle et cosmétiques , des produits d’entretien de la maison, du lavage des surfaces et du lavage du linge. Compte tenu de leurs caractéristiques, les eaux grises brutes ne peuvent être réutilisées pour des usages domestiques sans un traitement préalable. Ainsi, la réutilisation des eaux grises nécessite des étapes de traitement, de transport et de stockage à maitriser.
Par ailleurs, l’utilisation d’eaux grises traitées dans l’habitat nécessite l’installation d’un réseau distinct du réseau de distribution d’eau destinée à la consommation humaine (EDCH) et les retours d’expériences mettent en évidence le fait que la présence d’un réseau d’eau non potable à l’intérieur de l’habitat constitue une source majeure de risque. En effet, l’interconnexion entre le réseau d’EDCH et celui véhiculant les eaux grises, peut entraîner une contamination du réseau public de distribution de l’EDCH, la rendant non conforme à la réglementation en vigueur et susceptible d’entraîner des effets sur la santé des consommateurs.
Les recommandations de l’Agence
L’Anses estime qu’une réutilisation des eaux grises dans l’habitat ne doit être envisagée que pour des usages strictement limités, dans des environnements géographiques affectés durablement et de façon répétée par des pénuries d’eau.
Sous réserve de la mise en œuvre d’un traitement et de mesures de gestion du risque appropriées, les eaux grises traitées peuvent être adaptées à trois usages en milieu domestique, si elles répondent à des critères de qualité précis au point d’usage :
- l’alimentation de la chasse d’eau des toilettes,
- l’arrosage des espaces verts (excluant potagers et usages agricoles),
- le lavage des surfaces extérieures sans génération d’aérosols (sans utilisation de nettoyeur à haute pression). Toutefois, dans ce cas l’ajout de produits d’entretien dans les eaux grises traitées est déconseillé.
Dans ces conditions, un encadrement réglementaire des conditions de recueil, de stockage et de traitement des eaux grises brutes est nécessaire pour permettre de réduire les risques sanitaires pour les personnes exposées.
Au vu du manque de données nécessaires pour conduire une évaluation des risques sanitaires liés aux différents usages des eaux grises traitées, l’Anses recommande que chaque projet de réutilisation d’eaux grises brutes dans l’habitat fasse l’objet d’une démarche systématique d’analyse des risques, afin de s’assurer que les bénéfices sont supérieurs aux risques pour la santé des occupants et des travailleurs amenés à utiliser des eaux grises traitées dans l’habitat.
L’Agence recommande que les décideurs, particuliers, copropriétaires, élus, etc. soient informés des possibles impacts sanitaires, environnementaux et économiques de l’opération de réutilisation des eaux grises.
De surcroît, l’adjonction d’un réseau d’eaux grises peut également engendrer des risques sanitaires pour les utilisateurs et/ou les occupants des immeubles, qu’ils soient liés à l’installation, à l’exploitation et à l’entretien du réseau, ou liés à la qualité de l’eau transportée. La traçabilité est donc primordiale pour garantir la sécurité sanitaire au cours du temps et éviter toute dérive.
Par ailleurs, la population (résidents, professionnels, utilisateurs occasionnels) doit être informée de l’existence d’un système de réutilisation des eaux grises traitées et sur les risques sanitaires éventuels. Elle doit également être formée aux conditions d’utilisations nécessaires pour minimiser les risques associés à la présence d’un réseau d’eau non potable. L’Anses propose en outre une série de recommandations pratiques à destination des professionnels intervenant sur les installations de réutilisation d’eaux grises.
Dans un contexte de développement durable visant notamment à épargner la ressource et économiser l’eau, l’Agence rappelle que l’eau, quels que soient ses usages, doit être utilisée de façon raisonnée.